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Cocopas

ou

révélation d'un autre type

C’est au détour d’une longue marche nocturne que je rencontrais Cocopas. Ce nom m’apparut comme une sorte de dénomination particulière. Je pouvais lire la fierté dans le son de sa voix quand il se présenta à moi. Nous nous étions assis sous la lumière des astres constellant le ciel de cette planète. J’avais le sentiment que Cocopas communiquait avec Silune. J’étais intriguée par la façon dont mon compagnon noctambule récitait d’étranges paroles. Je ne le comprenais pas, j’y entendais des incantations adressées à Silune. Je ne voulais pas l’interrompre, fascinée par son chant, son visage aux pommettes saillantes, son nez arqué qui lui donnait un trait de caractère rusé, ses yeux plissés et ses paupières naturellement gonflées.

 

Je le fixais tout en jetant des regards curieux vers Silune, espérant une réponse de sa part. La voix nasillarde, pleine de mysticisme de Cocopas emplissait mon esprit, résonnait dans mes poumons. Un vent léger soufflait dans la chevelure longue, noire de mon étrange acolyte, jouant avec les striures argentées provoquées par les rayons lumineux de Silune.

 

Un peu impatiente, je l’avoue, je tentais d’apprendre si Cocopas avait réussi à obtenir une réponse de la part de Silune. Un éclair d’incompréhension passa dans les yeux de cet étrange homme. Nous ne parlions pas la même langue. Développant un bon nombre de gestes, nous finîmes par nous comprendre. Il ne parlait pas à Silune comme je le croyais, mais s’adressait à Nash’ti Hua Ka, un ancêtre parti vivre dans le monde immatériel, le royaume inconnu. Lui aussi partirait bientôt pour ce monde, il avait besoin d’en parler à un familier, quelqu’un qui serait là pour l’accueillir.

 

Cocopas me parlait de sa mort prochaine. Une colère sourde m’étreignit la gorge. Moi qui croyais tenir en la personne de Cocopas un nouvel ami sur cette terre, il allait bientôt disparaître. J'allais me retrouver seule. Ma vision resta figée sur Cocopas un moment. Il ne détourna pas les yeux. Ses pupilles brillaient, vibraient de certitudes. Ses mains restaient croisées, impassibles. Elles étaient tout usées de maints travaux. Je finis par baisser la tête, assommée d’un sentiment de culpabilité, bien que je m’étais toujours tenue à ma promesse d’être neutre. Son regard lui, me perçait à jour avec la persistance et la force de celui qui n’a rien à perdre.

 

Bien qu’indécise, je me levais accordant une attention exagérée à Silune, suivie par les pupilles insistantes de Cocopas. Je sus à ce moment-là, que son regard me hanterait, telle une épée de Damoclès au-dessus de ma tête, avec Silune comme témoin, me rappelant ma lâcheté d’avoir utilisé la neutralité comme prétexte à ne rien voir de ce massacre ethnique qui allait indubitablement se dérouler sous mes yeux. 

 

Aujourd’hui, rentrée en Terre connue, assise sous un rayon de lumière, seule, j’associe le nom de Silune à celui de Cocopas. Je sais bien qu’après l’avoir quitté dans son bois, il est parti vers l’inconnu, mort avec son peuple, sans honneur, sans épitaphe. Fallait-il que nos deux peuples se rencontrent. Nous les avions exterminés par le seul fait de notre présence. Nous étions la mort personnifiée pour ces gens, nous n’en savions rien au début, mais nous n’avions pu enrayer le fléau. Le fléau c’était nous.

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