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De Charlotte à la Lune

 

                       La nuit tombée, l'astre plein volait la vedette au soleil. Ces deux-là jouaient à cache-cache depuis la création. Au port, il faisait clair comme en plein jour. Lorsqu'elle avait des moments de calme, le plus souvent la nuit, Charlotte bravait l'intense luminosité, le regard rivé sur la surface blanche, jaune pâle ou parfois orangée du satellite terrestre. Sa silhouette n'était pas seule fragile, son être tout entier avait la vulnérabilité du cristal et elle cherchait le réconfort dans cet acte éperdu. Tout en elle s'acrochait à cette certitude : elle était née de la Lune. Sa mère l'avait tant houspillée : " tu es dans la lune !" ou " Arrête donc d'être dans la lune ! C'est agaçant nom d'un chien !". Accablée de reproches, la petite Charlotte avait fini par s'identifier à ce corps céleste : effacée le jour, timide, presqu'invisible. Surtout, ne pas indisposer outre mesure sa mère, se conformer à ses exigences.

                             Dans son désir de ne pas froisser celle qui lui donna la vie, elle allait jusqu'à s'habiller de blanc. Transparente, translucide, le visage pâle, les cheveux blonds comme le sable fin d'une plage paradisiaque, Charlotte cultivait l'art du camouflage à l'instar du caméléon. Elle parlait peu. Elle avait instinctivement préféré le langage corporel à celui de la parole. Si seulement elle avait su écrire, alors sûrement, elle en aurait fait un moyen d'expression salutaire. Bien qu'on lui reprochât sans cesse d'être ailleurs, elle savait pertinemment que c'était là son unique échappatoire. La Lune plutôt que de subir la "colère marâtre", car rien de ce qu'elle pouvait faire n'avait de gloire aux yeux de sa mère. La matriarche, cette monstrueuse araignée, s'égosillait sur son incroyable incapacité, sa nullité d'enfant : "Mais qu'est-ce quon fera de toi ?". La mère s'enlaidissait de son propre venin, les veines de son front gonflées par l'ire inaltérable. Plus que le temps, l'exaspération la vieillissait sans aucune mesure.

                                    Charlotte s'était prise au fil des ans d'une tendresse particulière pour ce joyau scintillant dans la nuit. Il avait le don de l'emmener loin des cris, loin de cette incompréhensible tension pesante sur le foyer familiale. D'un clin d'oeil, d'une main suggérée par le mouvement d'un nuage passant par bonheur, la Lune invitait Charlotte à parcourir son monde imaginaire. Elle s'agrippait à l'idée d'une certaine forme de liberté, soustraite à la réalité du monde, le temps d'une rêverie. Ses pensées embarquaient, tel un passager à la dérive, sur des courants aériens d'une atmosphère plus légère qu'à terre. Rien, plus rien ne figait sa vision sur la ligne d'horizon. Des étendues d'étoiles venaient caresser ses peines, frôler son âme chagrine. Le sentiment d'appartenir à un univers plus grand que le quartier où elle était née la réjouissait, faisait naître sur ses lèvres des sourires imperceptibles. Des landes d'herbes sauvages apparaissaient sous ses yeux fixes, venaient caliner ses jambes comme si elle courait à travers elles. Ses courses fantastiques lui donnaient la sensation de ne plus pouvoir retenir les battements affolés de coeur, enfint vivant, si vivant. Essouflée dans un monde imaginaire. La sublime immensité océanique l'envahissait, jusqu'à l'envoûter de son air iodé. Elle volait vers le large, riait alors, riait à l'unisson des mouettes, libres, tellement libres.

                                    Tout, elle imaginait tout lorsqu'elle était dans la lune, tout un pays extraordinaire, de bienveillance et de quiétude. Dans ce monde-là, Charlotte ne comptait plus les heures. La faim, la soif, le sommeil, rien de cela n'avait d'exitence, ni même d'importance. Non, vraiment rien, rien ; rien que le néant lui semblait pire que l'insondable "in-amour" de sa mère. La Lune en douce amie lui servait de carapace, éloignait de ses parages la solitude, lui embrasait le coeur d'un espoir tenace. Car lorsque l'on nait de la Lune, les maux se transforment en poussière, les mots d'amour deviennent d'euphirants bonbons et tout a lentement le goût du possible.  

 

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