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Rencontre d'autrefois

 

Venu par les sentiers de son agreste pays, Gavroche avait posé son ballot sur les gravats d’un sous-pont capitaliste. Ahané par les lieues qu’il venait de parcourir dans la campagne aux senteurs de métayage, Gavroche s’allongea sans se soucier d’autres gueux que de lui-même. Il songeait encore à hier.

 

Parti du logis paternel pour ne plus voir la marâtre filandière lui lancer des éclairs à longueur de journée, Gavroche soupirait de soulagement d’être ici, dans le froid, et la faim naissante. Il ronflait de plaisir en repensant à la farce qu’il avait joué à sa belle-mère, Guenièvre. Elle s’était imaginée pouvoir l’amadouer. Lui, le rustre bucolique partisan de l’école buissonnière, fils du seul fournier du village et en la circonstance respecté pour son métier, dont il était l’apprenti auprès de son père, l’Auguste.

 

Le patriarche ne devait pas être d’humeur folâtre en découvrant la paillasse du fils unique désertée à l’heure où d’ordinaire il venait le rager afin de le mettre en besogne.

 

Qui à présent, dans ce cul de campagne, accepterait le dur labeur d’un apprenti boulanger ? Qui viendrait l’aider à pétrir la pâte à pain et à garder la chaleur du four à bonne température ? Il ne lui restait que cinq filles, toutes plus ou moins destinées à suivre le fil de Guenièvre.

 

Gavroche rêva de ses cinq sœurs par alliance, toutes aussi jolies que légères, dont l’une d’elle, Péronnelle de son prénom et plus âgée que lui, lui donnait quelques regrets de s’être fait la malle.

 

Malgré ça, et à potron-jaquet, Gavroche chemina de nouveau sur la capitale. En sautant en marche sur l’arrière d’une charrette, il retrouva les émanations familières de la closerie de sa mère Margot, d’où croissaient des légumes savoureux, des herbes fines à relever le pot, et des fleurs de saison. Elle n’était plus de ce monde, son jardin envahi de fétus.

 

Gavroche n’avait jamais vu autant de monde dans un même endroit. Tout en sachant que son village n’était qu’une pierre parmi tant d’autres, il n’avait jamais soupçonné la diversité des paysages, des costumes et des patois existants sur cette terre.

 

Alors qu’il ouvrait exagérément les yeux à la découverte des autres, il rencontra le regard de Linon. Elle sourit devant l’ébaudissement de ce jeune païen tout en baissant les yeux sur son panetier qu’elle s’en allait remplir.

 

Gavroche s’expulsa de la charrette qui n’avançait guère plus dans l’exubérance de ce jour de marché. Sur ses sabots, il eut tout juste le temps d’attraper le bras de Linon. Ils se retrouvèrent au comptoir d’un boulanger pour lequel Linon travaillait après avoir fait les commissions pour sa mère, Lisette. Elle avait été lingère avant de vivre comme profane, dénigrée par ses semblables pour avoir voulu faire croire au peuple que sa fille avait un père notable.

 

Comprenant qu’il allait vivre à Paris au côté de Linon, Gavroche s’enquit du labeur auprès du boulanger qui l’engagea aussitôt vu que sa jeunesse à lui était en voie de trépasser. En partant de la mansion patriarcale, Gavroche n’aurait jamais cru que son dur apprentissage puisse faire vivre sa nouvelle famille et le rendre respectable à son tour.

 

Il attendrait alors encore quelques années avant de recevoir le douaire de son patron pour placer ses économies dans cette boulangerie et prospérer comme un marchand érudit, avec à son côté sa blonde Linon, et Lisette qui reprendrait la taille du lin pour les faire dormir dans de beaux draps.

 

Ainsi allait le temps, en ces temps reculés où l’on parlait plus en patois qu’en français.

 

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