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Toits, Washington Square, 1926

 

                  D'habitude à l'heure des ombres courtes, je ne suis pas sur les toits de Washington Square.

                 J'ai tendance à préférer les soirs, lorsque la lumière du soleil fait vibrer les silhouettes des cheminées sur les revêtements de tôles. Aujourd'hui, le solstice du printemps m'a surpris dans ma flânerie et maintenant plus que jamais, des odeurs se propagent sous mes narines. Elles viennent à moi portées par la brise, des colonnes cariatides inversées jusqu'à mes sens émoustillés de ces milles parfums. "Cafés dilués" m'interpellent tandis qu'un fumet de saumon m'ouvre l'appétit. Les alizés soutiennent l'air iodé du large et se méangent à la vanille d'un dessert glacé. J'entends les adultes et les enfants se restaurer en contre-bas. Leurs voix montent avec les courants chauds de midi. Je tressaille aux cris de joies de certains. J'imagine qu'ils jouent à cache-cache dans le parc, sautent à la corde, dont du roller entre les bancs et les passants. Je les aient si longtemps observé aux heures des lumières artificielles. Pour l'instant, je me languis sous la chaleur du soleil. Je m'engourdis tel un lezard malgré toutes les senteurs chatouillant mon odorat, car j'ai le nez fin. On dit de moi que j'ai du nez ! Avec aisance, le sommeil pourrait m'emporter bien loin, au delà du pays des songes, mais les klaxons des véhicules me surprennent toujours. Cette ville ne cesse jamais. Le silence n'y existe pas. Même la nuit, la vie se relentit d'une façon infime, comme suspendue aux sirènes hurlantes des ambulances.

 

                 Le cri d'une mouette me tend un piège. soulever les paupières afin de mieux entendre ce ricanement sarcastique ? Vais-je répondre à son invitation ? Je baille longuement, constate que les demoiselles d'acier chapeautées et élancées vers le ciel limpide restent immobiles. J'étire soigneusement chacun de mes membres. Une musique s'élève d'un immeuble voisin. Alors, attiré par le son, je dodeline dans sa direction. Se prenant pour un sémaphore ma tête oscille et mon regard inspecte, en quête d'indices. Personne à droite, personne à gauche. Je suis seul à sauter par-dessus les murets de brique rouge. Les sons aussi m'indiquent beaucoup de choses. Par chance, mon ouïe développée capte les moindres mouvements de l'atmosphère.

 

                      La musique a brutalement cessé pour laisser place au chant mélodieux d'un Cardinal rouge. Il vol, me nargue. Le suivre me parait l'idée la plus géniale ! Let's go ! Bondir dans le vide, slalomer à travers les champignons métalliques, se hisser sur les pentes glissantes des petits toits grisâtres, s'élancer dans l'espace de tout son corps et tenter d'attraper le volatile afin de se sentir comme lui : libre ! Bon sang ! Qu'on ne m'y reprenne pas à trainer si tard sur les toits de Washington Square. La chaleur embrume l'esprit et les sens. Le sol se dérobe sous mes pieds, mon coeur s'affole, mes poils se hérissent, mes pupilles se dilatent. Je tombe !

 

_" Tiens ! Monsieur Hopper ! Te voilà enfin !" Badine ma douce amie tandis que mon dos s'arrondit d'instinct afin que je retombe sur mes pattes tel un chat. Mais ne le suis-je pas ? Sans que je m'en rendisse compte, j'avais attéri sur mon balcon. L'arôme des croquettes servies dans un bol de porcelaine blanche ne me laissa pas indifférent. Le seuil de la cuisine franchi, j'alla grignoter quelques morceaux avant de m'installer confortablement sur le bout du lit de ma chambre verte. Adieu Cardinal rouge, ce n'est pas aujourd'hui que je volerai aussi bien que toi, enfin si, peut-être dans mes rêves les plus profonds. 

 

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